Lettre de la FNDP #7 : Droit international privé
DROIT INTERNATIONAL PRIVE
Réserve héréditaire et ordre public international
Cass. 1re civ., 27 septembre 2017, n° 16-13.151
Cass. 1re civ., 27 septembre 2017, n° 16-17.198
Deux célèbres compositeurs français décèdent l’un et l’autre aux États-Unis, où ils étaient domiciliés, avant le 17 août 2015. Dans les deux cas, la loi applicable à la succession est la loi californienne, qui ignore la réserve héréditaire. Les défunts avaient organisé leurs successions au moyen de trusts dont la dernière épouse était à chaque fois bénéficiaire.
Les enfants français, issus de premiers lits, se prévalent de leurs droits à réserve en soutenant que l’ordre public international français s’oppose à l’application d’une loi étrangère ignorant la réserve. Dans deux décisions très attendues et sans surprise, la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 27 septembre 2017, n° 16-13.151 et Cass. 1re civ., 27 septembre 2017, n° 16-17.198) affirme qu’ « une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ».
Les deux arrêts ayant déjà été abondamment commentés, nous nous bornerons à mettre en avant leurs intérêts et les précautions qu’ils appellent pour les gestionnaires de patrimoine dans une perspective d’anticipation successorale.
En premier lieu, de par la généralité des deux décisions, il ne semble pas faire de doute que la solution retenue, bien qu’appliquée à des successions ouvertes avant le 17 août 2015, soit transposable aux successions relevant du champ d’application du règlement européen n°650/2012, dit règlement « successions ».
En second lieu, dès lors que la protection de la réserve ne relève pas, par principe, de l’ordre public international français, les stratégies « classiques » d’anticipation successorale, et, surtout, celles issues du règlement « successions » pourront continuer d’être proposées à leurs clients par les professionnels de la gestion de patrimoine. Tel est notamment le cas de la professio juris, permise par l’article 22 du règlement européen, en vertu de laquelle une personne peut choisir comme loi applicable à sa succession la loi de sa nationalité au moment du choix ou au moment de son décès. Un Anglais ou un Américain peut ainsi soumettre sa succession à sa loi nationale, alors même que celle-ci ignore la réserve, sans crainte, a priori, d’éviction de la loi ainsi choisie.
Dans le même esprit, une délocalisation, fondée sur un changement de résidence habituelle, pour établir cette dernière dans un pays ignorant la réserve, devrait pouvoir développer ses effets, dès lors que le défunt aura bien conservé ladite résidence dans l’État en question au moment de son décès. La stratégie d’ameublissement pourra encore être utilisée afin de faire obstacle au mécanisme du renvoi prévu par l’article 34 du règlement « successions » et de soumettre l’intégralité de la succession à une loi ignorant la réserve.
Tel pourrait être le cas, par exemple, d’une personne ayant sa résidence habituelle en Angleterre et qui serait propriétaire d’un immeuble en France. L’apport de l’immeuble à une société permettra de soumettre toute la succession à la loi anglaise, sans, a priori, qu’une atteinte à l’ordre public international puisse être invoquée.
Si les stratégies ici évoquées offrent des avantages évidents sur un plan purement civil, elles peuvent également présenter des intérêts non négligeables sur le plan fiscal. Toutefois, deux tempéraments doivent être mentionnés afin que les options proposées ne soient pas remises en cause.
D’abord, en aucune façon l’option envisagée ne devra caractériser une fraude à la loi sur le plan civil, ou un abus de droit sur le plan fiscal. Ensuite, il ressort des deux arrêts du 27 septembre 2017 que la loi étrangère pourrait être écartée si son application concrète devait conduire à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels.
Tel serait le cas si l’application de la loi étrangère devait placer les héritiers réservataires dans une situation de dépendance économique ou de besoin.
Eric Fongaro
Maître de conférences HDR
Co-directeur du Master 2 Droit et gestion du patrimoine
à l’Université de Bordeaux.
Commentaires0
Vous n'avez pas les droits pour lire ou ajouter un commentaire.
Articles suggérés