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Lettre de la FNDP #7 : Droit Patrimonial de la Famille

Actualités réglementaires

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23/02/2018



DROIT PATRIMONIAL DE LA FAMILLE



La participation aux acquêts et la créance de participation


Cass. civ. 1re, 15 nov. 2017 (n° 16-25.023, F-P+B)


Le régime de la participation aux acquêts est souvent critiqué par les praticiens au motif que la liquidation de la créance de participation se révèle complexe. S’il est permis de ne pas partager ce constat, force est de constater que ce régime est peu adopté par les époux. Les magistrats confrontés au rare contentieux en la matière peuvent alors rendre des décisions difficilement intelligibles, qui témoignent sans doute de leur embarras. Un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 15 novembre 2017 (JurisData n° 2017-022786), à paraître au bulletin, en offre une nouvelle illustration.

En l’espèce, des époux, séduits par ce régime mal-aimé qu’ils avaient pourtant adopté, ne se sont pas accordés sur la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux à la suite de leur divorce. Deux questions se posaient notamment.

En premier lieu, le traitement liquidatif d’une indemnité de licenciement a suscité des hésitations. La Cour d’appel de Paris avait ainsi considéré que « les indemnités, même transactionnelles, réparatrices d’un dommage moral ou matériel, ne sont pas propres, mais tombent en communauté dans le régime légal, de sorte qu’elles doivent être considérées comme des acquêts dans le régime de la participation aux acquêts ». Il en a été déduit que la somme perçue ne pouvait pas faire partie du patrimoine originaire.

Pourtant, les faits de l’espèce invitaient à une toute autre analyse, compte tenu de la chronologie des événements. En effet, le licenciement avait été notifié à l’épouse dix jours avant son mariage, et les indemnités avaient été perçues pendant l’union sur la base d’un protocole transactionnel conclu deux jours après le mariage (il est des cadeaux de noces plus réussi…). Les juges du fond s’étaient crus autorisés à en conclure que cette indemnité perçue durant l’union était un acquêt en ce qu’elle constituait un substitut de rémunération perçu durant le régime.

Sans surprise, l’analyse est censurée par la Cour de cassation. Sous le visa de l’article 1570 du Code civil, la Cour rappelle que le patrimoine originaire comprend les biens qui appartenaient à l’époux au jour du mariage. Or, la créance d’indemnité de licenciement, née le jour de la notification de la rupture du contrat de travail, préexistait au mariage, de sorte qu’elle devait être incluse dans le patrimoine originaire de l’épouse.

La solution n’est pas nouvelle. Dans un arrêt du 3 février 2010, la première chambre civile de la Cour de cassation avait déjà précisé que la créance d’indemnité de licenciement ayant pour objet de réparer le préjudice résultant pour un époux de la perte de son emploi naît le jour de la notification de la rupture du contrat de travail et entre en totalité en communauté dès lors que cette notification est intervenue en cours d’union (voir : Cass, 1ère civ, 3 février 2010, Bull. I n° 33 ; RTDCiv. 2010 p. 609 obs. B. Vareille). Il n’y a pas lieu de prendre en considération l’ancienneté acquise avant le mariage pour procéder à la qualification de l’indemnité, la date de naissance de la créance étant le seul critère permettant de qualifier l’indemnité perçue. La date d’encaissement des fonds ne peut pas davantage fonder la qualification de l’indemnité perçue, ni même la date de la transaction qui, par nature, ne crée aucun droit nouveau. En l’espèce, la créance d’indemnité de licenciement était bien née avant l’union, et devait figurer à ce titre au patrimoine originaire de l’épouse licenciée.


Une seconde difficulté était soumise à la première chambre civile de la Cour de cassation, tenant au traitement liquidatif des contrats « Carel ». Il s’agit de contrats destinés aux élus locaux afin de se constituer une pension de retraite par rente, qui ont été qualifiés par les juges du fond de « contrats de retraite par capitalisation à adhésion facultative ». Pourtant, pour écarter ce contrat du patrimoine final de l’époux souscripteur, la Cour d’appel de Paris avait retenu un raisonnement difficilement intelligible puisque l’arrêt énonçait que « le projet liquidatif suggérant que les époux agissaient comme s’ils étaient en séparation de biens, de sorte qu’ils pouvaient librement dépenser leurs gains et salaires, c’est à juste titre que le premier juge, relevant que ces contrats s’analysaient en une assurance sur la vie, les a qualifiés de propres de Monsieur ».

On peine à comprendre l’analyse retenue par les juges du fond, qui ne pouvait que se prêter à la censure de la Cour de cassation sous le visa des articles 1572 du code civil et 455 du code de procédure civile. La Cour rappelle ainsi que font partie du patrimoine final tous les biens qui appartiennent à l’époux au jour où le régime matrimonial est dissous.

Les juges du fond ne pouvaient donc pas écarter ces contrats du patrimoine final par une motivation aussi peu compréhensible.

Cette décision est alors à rapprocher de la solution posée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mai 2006 (n° 05-11512, Bull. I n° 259). Lorsque les cotisations à un contrat de retraite complémentaire ont été payées avec des fonds communs jusqu’à la dissolution de la communauté, la valeur de ce contrat fait partie de l’actif commun et les droits nés de ce contrat sont nécessairement attribués, après la dissolution, au souscripteur ou au bénéficiaire désigné, de sorte qu’il doit être tenu compte dans les opérations de partage de la valeur du contrat au jour de la dissolution de la communauté.

Sous un régime de participation aux acquêts, cela conduit à considérer que cette valeur est à faire figurer au seul patrimoine final de l’époux souscripteur, sur le fondement de l’article 1572 du code civil. Encore faudra-t-il la déterminer, mais c’est là un autre sujet…


Estelle NAUDIN 

Professeur des universités

Directeur du Master 2 Droit et gestion du patrimoine à l’Université de Strasbourg.


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