Lettre de la FNDP #8 : DROIT DES SOCIETES
DROIT DES SOCIETES
Précisions sur l’agrément des héritiers
Le 3 mai 2018, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts relatifs à l’agrément de parts transmises par succession. La coïncidence de date et de thème renforce l’importance de ces solutions qui doivent être reliées, même si elles ne concernent pas la même forme sociale et que seul l’un des deux arrêts est destiné à la publication.
L’arrêt non publié (n°16-24.381) est relatif une exploitation agricole à responsabilité limitée, forme sociale que l’article L. 324-1 du Code rural de la pêche maritime qualifie de « société civile (…) régie par les dispositions des chapitres Ier et II du titre IX du livre III du code civil, à l’exception de l’article 1844-5 ».
S’appliquait donc l’article 1870 du Code civil : « la société n’est pas dissoute par le décès d’un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu’ils doivent être agréés par les associés. Il peut, toutefois, être convenu que ce décès entraînera la dissolution de la société ou que celle-ci continuera avec les seuls associés survivants ».
Dans l’EARL, Le capital était réparti à parts presque égales entre deux frères, l’un occupant les fonctions de gérant de la société.
En application de l’article 1870, les statuts comportaient une clause d’agrément selon laquelle : « la société n’est pas dissoute par le décès d’un de ses membres. Elle continue entre les associés survivants et les héritiers ayants droit de l’associé décédé agréés. Tout héritier ou ayant droit qui le souhaite doit notifier à la société son intention de devenir associé dans les six mois du décès. L’agrément ou le refus d’agrément est délivré par décision collective extraordinaire des associés, conformément à l’article 16 des présents statuts, dans les 30 jours de la notification. À défaut de décision dans ce délai, l’agrément d’héritiers et ayants droit est réputé acquis ».
L’associé gérant décède en laissant pour lui succéder son épouse et trois enfants. L’associé restant refuse d’agréer l’un des enfants. La Cour de cassation en profite, alors que l’argument n’avait pas été clairement soulevé par les parties, pour s’exprimer sur le formalisme de la demande d’agrément. Bien que les statuts exigeaient que l’intention de devenir associé soit notifiée à la société dans les six mois du décès, elle admet néanmoins la demande formée en l’espèce, au seul associé restant, en soulignant qu’il était « seul associé du fait du décès de Louis X…, était la seule personne habilitée à accepter ou refuser d’agréer M. Jérôme X… en sa qualité d’associé unique ».
La solution est plus souple que celle retenue dans des arrêts antérieurs, en particulier dans un du 21 juillet 1981 où il avait été jugé que la notification du projet de cession à tous les associés d’une SARL ne dispense pas de celle qui doit être faite à la société. L’assouplissement du formalisme demeure cependant limité au cas d’un associé unique, dès lors seul habilité à donner son agrément et qui peut recevoir la notification à titre personnel.
L’autre arrêt (n°15-20.851), destiné à la publication, concerne également une société où le capital était détenu à parts égales par deux associés dont l’un était gérant, mais il s’agissait d’une SARL. En l’application de l’article L. 223-13 du Code de commerce, dans cette forme sociale, « les parts sociales sont librement transmissibles par voie de succession ou en cas de liquidation de communauté de biens entre époux et librement cessibles entre conjoints et entre ascendants et descendants. Toutefois, les statuts peuvent stipuler que le conjoint, un héritier, un ascendant ou un descendant ne peut devenir associé qu’après avoir été agréé dans les conditions prévues à l’article L223-14 [consentement de la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales à moins que les statuts ne prévoient une majorité plus forte]. (…). En cas de refus d’agrément, il est fait application des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article L223-14 [la société doit acquérir ou faire accélérer à un prix fixé dans les conditions prévues par l’article 1843-4 ou réduire son capital]. Si aucune des solutions prévues par ces alinéas n’intervient dans les délais impartis, l’agrément est réputé acquis ».
Dans la SARL en cause, les statuts prévoyaient un agrément des nouveaux associés et que, pour des transmissions par voie de succession, l’agrément serait décidé par les associés subsistants représentant au moins les trois quarts des parts sociales. L’un des deux associés décède en laissant comme légataire universelle son épouse qui sollicite son agrément.
L’assemblée générale extraordinaire de la société ne lui refuse et une ordonnance du juge autorise le gérant à bénéficier d’un délai supplémentaire de six mois pour le rachat, par la société, des parts sociales de l’associé décédé. Pendant le délai, une proposition de rachat est adressée à la conjointe qui ne donne pas suite. La conjointe estime alors être devenue associée faute de rachat dans le délai légal et invoque également l’effet rétroactif de l’agrément forcé pour prononcer la nullité de toutes les décisions prises par l’assemblée générale entre la date du décès et celle à laquelle l’agrément forcé est intervenu. Les juges refusent le caractère rétroactif, mais valident l’agrément.
Cela confirme qu’il est tout à fait possible d’être agréé alors que la société ne le souhaite pas et qu’elle a proposé plusieurs solutions de sortie, en se contentant de refuser toutes les propositions faites. Cet arrêt se situe dans la droite ligne de deux autres rendus par la chambre commerciale le 8 avril 2008 où l’agrément avait également été réputé acquis en toute mauvaise foi. Comment se protéger de celui qui refuserait toute cession ou tout rachat de ses parts ?
Ni la loi, ni les juges seront d’un grand secours et c’est donc l’habile rédaction de la clause d’agrément qui sera la seule parade.
Sophie SCHILLER
Professeur des universités,
Présidente du Comité juridique de la FNDP
Directrice du M2 223 à l’Université Paris Dauphine.
Anne-Françoise Zattara-Gros
Maître de conférences,
Co-directeur du M2 Droit du patrimoine à l’Université de la Réunion
Vice-Présidente de l’Université de la Réunion
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