Lettre de la FNDP #8 : DROIT PATRIMONIAL DE LA FAMILLE
DROIT PATRIMONIAL DE LA FAMILLE
SCI et protection du logement familial
En dépit des mises en garde de bon nombre de praticiens, la détention indirecte du logement familial par une société civile immobilière est une situation qui n’a rien d’exceptionnel. Se pose alors la question des conditions d’application de l’article 215 du code civil qui dispose, en son alinéa 3, que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni ». Cette règle, sanctionnée par la nullité de l’acte, s’applique-t-elle à la vente du logement de la famille détenu par la société dont l’un ou les deux époux sont associés ? Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 14 mars 2018 (n° 17-16.482) apporte ici d’utiles précisions.
En l’espèce, deux époux étaient associés d’une société civile immobilière, Monsieur détenant quatre-vingt-dix-neuf parts, et Madame détenant une part. Cette société a acquis un appartement qui a été occupé par le couple et leurs enfants pendant plusieurs années. Face à des difficultés financières, Monsieur, en sa qualité de gérant de la société, a vendu cet appartement sans que le consentement de son épouse n’ait été recueilli. Au jour de la vente, l’acquéreur de l’appartement a par ailleurs consenti un bail d’habitation meublé aux époux moyennant un loyer mensuel, qui est resté impayé. Quelques mois plus tard, l’acquéreur a fait signifier aux époux un commandement de payer, ce qui a semble-t-il alerté l’épouse sur les opérations passées. Elle a alors demandé au notaire de lui communiquer les actes relatifs à la vente et au bail de l’appartement, ainsi que le procès-verbal de l’assemblée générale autorisant le gérant à procéder à la vente, assemblée à laquelle elle n’avait pas participé. Le divorce se profilant, Madame a demandé l’annulation de cette vente sur le fondement de l’article 215 du code civil.
Les juges du fond ont, tout d’abord, constaté que la vente avait été réalisé conformément aux statuts de la société civile immobilière. Ils ont, par ailleurs, considéré que l’épouse ne pouvait revendiquer la protection accordée par l’article 215 du code civil. D’une part, le bien objet de la vente appartenait à la société civile immobilière et non à l’époux lui-même. D’autre part, aucune disposition des statuts ne conférait la jouissance des locaux à son gérant ou à sa famille.
Cette analyse n’a pas été remise en cause par la première chambre civile de la Cour de cassation. A l’occasion du pourvoi soulevant la violation de l’article 215 du code civil, la Cour affirme alors que « si l’article 215, alinéa 3, du code civil, qui a pour objectif la protection du logement familial, subordonne au consentement des deux époux les actes de disposition portant sur les droits par lesquels ce logement est assuré, c’est à la condition, lorsque ces droits appartiennent à une société civile immobilière dont l’un des époux au moins est associé, que celui-ci soit autorisé à occuper le bien en raison d’un droit d’associé ou d’une décision prise à l’unanimité de ceux-ci, dans les conditions prévues aux articles 1853 et 1854 du code civil ».
En l’espèce, il n’était justifié d’aucun bail, droit d’habitation ou convention de mise à disposition de l’appartement litigieux par la société civile immobilière au profit de ses associés, de sorte que la protection du logement familial ne trouvait pas à s’appliquer.
Sur le terrain des principes, la solution est conforme à la lettre des textes. En qualité de gérant de la société civile, l’époux n’a pas disposé d’un logement dont il était propriétaire, sauf à nier l’existence même de la société. En outre, cet époux n’a pas disposé des « droits par lesquels est assuré le logement de la famille », précisément parce qu’aucun droit ne fondait l’occupation de ce logement faute, notamment, d’avoir conclu un bail ou un commodat avec la société civile.
En termes d’opportunité, il n’en reste pas moins que l’analyse est d’une certaine sévérité pour le conjoint. Il est vrai que dans le cas d’espèce, la vente de l’appartement avait évité une vente forcée à la barre du tribunal. La famille aurait donc nécessairement été privée de son logement à brève échéance, la protection de l’article 215 du code civil ne conduisant nullement à écarter une saisie immobilière. Dans un autre contexte, la protection du logement familial fondée sur l’accord des époux pourrait être plus impérieuse. Cette protection sera pourtant illusoire en cas de détention indirecte par le biais de la société civile, l’occupation du logement procédant souvent d’une situation de fait sans qu’une clause statutaire n’ait octroyé aux associés un droit de jouissance sur ce logement.
Une mise en garde s’impose donc à l’égard des époux détenant leur résidence principale par le biais d’une société civile. Cette détention indirecte emporte des conséquences qui n’ont rien de négligeable dans l’ensemble du droit patrimonial de la famille, conséquences qu’il importe d’anticiper.
Estelle NAUDIN
Professeur des universités et Directeur du Master 2 Droit et gestion du patrimoine à l’Université de Strasbourg.
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